Historiquement, l’expression « charge mentale » est utilisée pour décrire la double contrainte éprouvée par les femmes dans les sphères professionnelle et privée. La mise en lumière de ce phénomène a permis progressivement de ne plus circonscrire la charge mentale à un genre et au domaine personnel, mais de l’étendre au monde professionnel. Nous parlons alors de charge mentale au travail.
La notion de « charge » implique celle de poids et d’effort à fournir pour porter ce poids. Quand la charge devient chronique, nos capacités à faire face atteignent leurs limites et peuvent conduire à l’épuisement, avec des conséquences sanitaires, sociales et économiques.
Dans cet article, nous apporterons un éclairage sur ce qu’est charge mentale, les causes possibles et les conséquences inhérentes à cette problématique, ainsi que sur les démarches de prévention proposées aux employeurs comme aux salariés.
La charge mentale, c’est quoi ?
Définition du concept
La charge mentale au travail est un concept général dont la définition précise peine à voir le jour. Elle se réfère à la quantité de ressources mentales nécessaires pour effectuer une tâche ou accomplir une activité.
Cette notion a beaucoup évolué depuis sa première définition dans les années 70-80. La révolution 4.0 et ses nouvelles technologies ont en effet fait apparaitre des modes organisationnels différents, des outils numériques qu’il devient nécessaire de maitriser, de nouveaux métiers associés, sans compter des lieux de travail éparpillés à distance avec l’avènement du télétravail. Ce que l’on pourrait appeler le « techno stress » donne ainsi une approche autre de la charge mentale.
L’évaluation de la charge mentale est par essence multidimensionnelle. Si les différentes définitions relatives à la charge mentale au travail sont nombreuses, elles révèlent des caractéristiques communes : les exigences de la tâche liées à la demande, l'effort mental déployé en réponse à ces exigences et la nécessité de maintenir la performance à un certain niveau en fonction des objectifs établis. Ces trois dimensions composent et influent sur le niveau de charge mentale au travail.
Evaluation de la charge mentale
Dans son étude sur l’approche intégrative de la charge mentale au travail, la chercheuse Edith Galy propose une échelle d’évaluation basée sur le modèle Individu-Charge-Activité (ICA).
Ce modèle considère la charge mentale au travail comme le résultat des interactions entre les aspects de l'activité professionnelle, son contexte d'exécution et les caractéristiques individuelles (physiologiques, cognitives, sociales, affectives).
Selon le modèle ICA, les facteurs associés à l'activité professionnelle et à ses caractéristiques entraîneront un coût mental ou « charge mentale intrinsèque ». Les éléments liés au contexte d'exécution donneront lieu à un coût mental désigné comme « charge mentale externe ». Le coût mental engendré par la mise en place de stratégies de régulation est identifié comme « charge mentale essentielle ». Le modèle tient également compte des ressources disponibles chez l’individu.
L’échelle d’évaluation élaborée à partir de ce modèle comprend donc 4 dimensions qui peuvent être schématisées ainsi :
Ce modèle offre une vision globale de la charge mentale, soulignant qu'elle résulte de l'interaction entre les caractéristiques de l'environnement et celles de l’individu. De plus, la structure du modèle décompose la charge mentale en différentes dimensions, facilitant ainsi sa compréhension et sa corrélation avec les composantes du travail.
Causes
Dans son travail, un individu supporte une charge physique et mentale. Si la charge physique peut être aisément caractérisée et évaluée, la charge mentale présente une complexité accrue. Elle est influencée par de nombreux facteurs liés aux tâches à accomplir, à l'environnement de travail et aux interactions sociales.
Les causes recensées de la charge mentale au travail sont diverses et peuvent inclure :
- La complexité des tâches.
- Le volume de travail.
- La pression temporelle.
- Les responsabilités professionnelles.
- Les distractions et interruptions exigeant une adaptation constante.
- L’ambiguïté des rôles et des attentes.
- L’environnement physique et les conditions de travail.
- Le manque de contrôle sur son environnement de travail ou ses tâches.
- Les conflits interpersonnels.
- Le manque de soutien de la part des collègues, des supérieurs ou de l'organisation.
- Des demandes croissantes, sans toujours disposer des ressources nécessaires.
- Les nouvelles technologies et l’hyperconnexion.
- Une adaptation et des changements organisationnels fréquents.
La reconnaissance de ces facteurs est essentielle pour travailler vers une répartition plus équitable de la charge mentale et promouvoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Cela implique des discussions ouvertes et une communication claire.
Quelles conséquences sanitaires de la charge mentale au travail ?
Charge mentale, stress et burn-out
La charge mentale est très souvent confondue avec le stress et le syndrome d’épuisement professionnel, communément appelé burn-out.
La charge mentale repose sur l’utilisation des ressources cognitives nécessaires pour effectuer une tâche, tandis que le stress est une réponse physiologique naturelle et complexe de l'organisme à des stimuli perçus comme menaçants.
Bien que des niveaux élevés de charge mentale puissent contribuer au stress, le stress peut également être déclenché par d'autres facteurs non liés à une charge mentale spécifique.
Le burn-out est quant à lui un état d'épuisement global : physique, mental et émotionnel résultant d’une exposition a un stress prolongé au travail, avec des implications plus larges pour la santé. Une charge mentale élevée peut être une composante et/ou un facteur déclencheur de burn-out, mais ce dernier est une condition plus complexe et étendue.
Symptômes et conséquences
Il est important de ne pas sous-estimer la charge mentale au travail. Les complications peuvent être sanitaires - comme le burn-out, la dépression ou la survenue de maladies cardiovasculaires - professionnelles avec la perte d’un emploi, voire économiques si elles entrainent une précarité chez le salarié ou une baisse de productivité pour l’entreprise.
La charge mentale au travail peut se manifester à travers différents symptômes qui peuvent varier d'une personne à l'autre. La présence de plusieurs symptômes indique généralement une charge mentale élevée.
Au-delà d’un poids et d’une fatigue que les personnes disent ressentir, d’autres signes peuvent être exprimés :
- Une sensation constante de fatigue mentale, même après une période de repos non compensateur.
- Des symptômes physiques tels que des maux de tête, des lombalgies, des troubles gastro-intestinaux, des douleurs diffuses.
- Une décompensation de maladies chroniques déjà existantes (HTA, un diabète, et pathologies psychiatriques, etc.).
- Des troubles de sommeil avec des conséquences sur l’humeur, le poids et les performances professionnelles.
- Des difficultés de concentration et troubles de l’attention.
- Une irritabilité et des réactions émotionnelles plus fortes.
- Des conduites addictives et des troubles alimentaires.
- Des difficultés de prise de décision.
- Une diminution de l'estime de soi.
- Un isolement social.
- Un sentiment d'épuisement généralisé.
Il est crucial de reconnaître ces signes et de prendre des mesures en conséquence. La communication avec les collègues et les managers, la mise en place de stratégies d'organisation et la recherche de soutien professionnel peuvent aider à atténuer les effets de la charge mentale.
Pour être conseillé et accompagné, il est recommandé de consulter un professionnel de la santé mentale et/ou le médecin du travail.
Comment réagir face à une charge mentale trop pesante ?
Côté salarié
La question du bien-être au travail est récente et de nombreux tabous perdurent autour de la thématique des risques psychosociaux. Reconnaitre la charge mentale par soi-même exige une certaine prise de conscience et du temps. Cette démarche peut être initiée par l’entourage personnel ou professionnel.
Dans un premier temps, il est conseillé de s’évaluer par le biais de questionnaires et des tests d’autoévaluation de la charge mentale. Ces tests à visée informative peuvent aider les personnes à faire un état des lieux de la situation.
Parmi les questionnaires utilisés en milieux professionnels, le test de Karasek[1] s’intéresse à la souffrance au travail et le test de Siegrist[2] mesure le déséquilibre efforts/récompenses pour évaluer le surinvestissement.
Si la problématique repose sur la gestion du temps au travail, il est recommandé de mettre l’accent sur la priorisation des tâches : ne pas se fixer des objectifs inatteignables et/ou réaliser des listes de tâches trop longues. Ce qui compte ici est de se réaproprier du temps pour soi et de rééquiliber la balance vie professionnelle/personnelle.
La méthode dite « Pomodoro »[3] propose des astuces pour retrouver un travail ciblé avec des pauses planifiées. Comment ça marche ? En voici les étapes :
- Choisissez votre mission/travail à faire
- Réglez la minuterie sur 25 minutes.
- Travaillez jusqu'à ce que la minuterie sonne.
- Faites une pause de cinq minutes.
- Faites des pauses plus longues (15 à 30 minutes) tous les quatre intervalles.
Ces conseils aideront également à préserver un équilibre au travail :
- Apprendre à déconnecter, au sens psychologique et technologique.
- Apprendre à dire « non » de façon objective.
- Faire des pauses sans culpabiliser.
- Dialoguer avec son manager et ses collègues pour cibler certains points de crispations et lever les non-dits.
- Libérer la parole.
- Accepter de ne pas être parfait.
Côté employeur
L’entreprise et les employeurs ont pour rôle d’assurer la sécurité de leurs salariés. Selon l'article L. 4121-1 du Code du travail, « l'employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. » Dans ce cadre, l'employeur ne doit pas seulement diminuer le risque, mais doit l'empêcher. Une fois alerté, il doit être en capacité de mettre œuvre des actions pour diminuer les tensions organisationnelles ou tout autre dysfonctionnement qui peut nuire à la santé de son salarié.
Un engagement fort des entreprises est le garant de l’efficacité d’une démarche de prévention.
L'analyse de la charge de travail constitue souvent une première étape face à un salarié dont charge mentale est trop pesante.
Cette charge de travail englobe le physique et le mental, deux aspects étroitement liés, les sollicitations physiques impliquant des exigences mentales variables.
Une analyse nécessite par conséquent l'exploration de plusieurs dimensions, dont les modes d'organisation du travail, la charge prescrite, la charge réelle et la charge subjective.
L'objectif d’une démarche analytique est de construire une compréhension collective de la charge de travail globale au sein de la structure ou du service concerné.
L'organisation du travail crée inévitablement des écarts entre le travail prescrit et le travail réel. L'examen de ces écarts et la recherche de solutions organisationnelles appropriées sont alors indispensables pour réguler efficacement la charge de travail.
Un déséquilibre peut avoir des répercussions sur l'employeur, les salariés et les clients potentiels, influant sur la qualité du service, la capacité des salariés à respecter les délais, la dynamique du collectif de travail, ainsi que sur la santé de l’équipe.
L’évaluation de la charge de travail nécessite d’avoir une approche tant quantitative que qualitative, avec 3 dimensions interdépendantes (source cnptp 2017):
L’évaluation de la charge de travail peut être engagée à l’occasion :
- D’une évaluation continue, par exemple avec la mise à jour du DUERP.
- D’un changement ou d’une restructuration organisationnelle au sein de l’entreprise.
- Dans le cadre de dysfonctionnements notés dans l’entreprise avec des indicateurs chiffrés émanant des services RH, comme un turnover important, des augmentations des AT/MP, l’augmentation de conflits interpersonnels, etc.
Les instances représentatives du personnel, en particulier le CSE, sont consultées dans le respect de leurs responsabilités tout au long des étapes de cette démarche d’évaluation. Elles peuvent y associer leur service de prévention et santé au travail.
Conclusion
La compréhension des mécanismes de la charge mentale par les salariés et par les employeurs est un levier préventif fort. L’intérêt d’investir dans la prévention n’est plus à démontrer, tant sur le plan sanitaire qu’économique.
Pour se recharger, il est important de rééquilibrer les charges sur les ressources et les moyens afin de tendre vers un bien-être commun.
Prévenir les risques inhérents à la charge mentale est une démarche dans laquelle les services de prévention et santé au travail peuvent intervenir. Dans ce cadre, Thalie Santé est missionné pour assurer la surveillance de l’état de santé des salariés, préserver leur santé physique et mentale, et contribuer à leur maintien dans l’emploi tout au long de leur carrière professionnelle.
En cas de doute ou de besoin, contactez votre médecin du travail ou votre infirmier en santé au travail !
[2] https://www.atousante.com/risques-professionnels/sante-mentale/stress-professionnel/mesure-desequilibre-efforts-recompenses-questionnaire-siegrist/
[3] Francesco Cirillo a inventé le terme « pomodoro », qui se traduit par tomate, à la fin des années 1980, d'après le minuteur en forme de tomate qu'il utilisait lorsqu'il était étudiant à l’université. https://science.nichd.nih.gov/confluence/pages/viewpage.action?pageId=160956640